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territoire tranquille

«TERRITOIRE TRANQUILLE »

Par Joël Halioua - Décembre  2019 - 

 

C'est un ailleurs qui ne se dévoile pas. Un lieu entre ciel et eau, d'où émergent d'étranges fantasmagories de métal et de pierre. Un horizon bardé de fer et de béton arrête l'œil, laisse affleurer dans les lointains la possibilité d'une ville, d'habitations éparses, ou l'infinité de la mer. C'est ainsi que Francesca Piqueras a vu l'Ecosse. 

 

Elle ne décrit pas les lochs ou les collines, l'enchevêtrement de la terre et de la mer, les pubs d'où ne s'échappent plus la fumée du tabac et de la tourbe. Son propos est tout autre. Chaque photographie impose une lecture subtile d'une âpreté autant liée au climat qu'à la situation actuelle. 

 

Les fractures et la rouille, les arêtes et les pointes dessinent en ombres plus qu'en lumière la géographie intérieure d'un pays, d'un peuple, d'une histoire ancrée dans le réel d'aujourd'hui. Mais jamais cette dureté apparente n'est érigée en constat, encore moins en jugement.  

 

Ses photographies soulignent une majesté perdue, ou plutôt oubliée. Pylônes hiératiques, absurdes barrières de béton, cités de fer à fleur d'eau composent un poème visuel au rasoir, celui d'un progrès en cale sèche, de l'abandon du passé au vent, aux vagues et à la pluie, comme si au final, tout ce qui a été construit ici devait retourner aux éléments pour qu'enfin la paix soit faite.

 

Les guerres mondiales s'éparpillent sur le sable. Les plateformes pétrolières s'étirent vers le ciel. Leur juxtaposition n'a rien d'une allégorie qui opposerait le pouvoir technologique à la gloire fanée d'un empire, la soif d'inventions et de conquête à la nostalgie du passé. C'est avant tout la mise en perspective d'un futur incertain, qui oscille à la manière de cette armada immobile de structures insensées que rien ne décide à prendre le large, point de repère fluctuant d'une humanité égarée.

 

C'est cette lecture si particulière de la relation ambiguë entre l'humain et les paysages terrestres ou marins qui lui confère une puissance empreinte de douceur. Ce n'est pas le lieu, ici, qui compte, mais ce regard d'une esthétique affirmée qui est le sien, narration onirique en équilibre délicat entre abstraction et figuration, où le temps n'est jamais figé mais seulement suspendu, encore indécis sur ce que réserve l'avenir. 

 

Le « territoire tranquille » de Francesca Piqueras n'est paisible qu'en apparence. Chacune de ses photographies vibre d'une sourde énergie, où les turbulences de l'homme et des éléments se télescopent et se répondent. Mais la violence symbolique de ces architectures conquérantes contraste avec une lumière subtile, toujours changeante, presque rebelle. Difficile de ne pas y ressentir en écho la singularité de l'âme écossaise, trempée comme une lame dans le vent, la pluie et les vagues.

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