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l'architecture du silence 

Je suis allée dans la baie de Cansado, en Mauritanie, là où les bateaux sont sabordés sciemment, sans réglementation aucune. Cette baie est jonchée d'épaves que viennent découper des ferrailleurs; épaves qui, peu à peu, ne ressemblent plus à rien d'identifiable. N'en reste qu'un paysage métallique dessiné par des formes inquiétantes, émergeant de l'eau.

Je suis allée également au Cap Blanc non loin de là où s'est échouée '' La Méduse'' sur le banc d'Arguin qui inspira le fameux tableau de Géricault.

J'y ai rencontré un grand bateau turc. Il était là, abandonné, silencieux, digne, ensablé sur la pointe du Cap Blanc. Un cap qui n'est plus tellement blanc, mais recouvert de détritus de toutes sortes, probablement largués par le dégazage incessant des bateaux au loin.

A l'horizon, s'échappant d'une concession de mine de fer, une épaisse fumée farineuse et orange dévorait lentement le ciel.

Partout, d'immenses bancs d'oiseaux. Les pattes dans le sable sale et boueux, ils se tenaient là debout, hagards et comme renfrognés.

J'éprouvais alors le triste paradoxe d'un monde sauvage envahi peu à peu par une société urbaine et industrielle se développant sauvagement.

C'est ce paradoxe que je photographie. Froidement. Ces paysages industriels de l'abandon qui sont notre esthétique contemporaine.

Dans cette fureur, j'ai isolé un espace architecturale silencieux, suggéré par un vide laissé autour du bateaux qu'une lumière changeante selon les heures de la journée vient immanquablement nourrir.

Un espace visuel silencieux ou chacun peu projeter sa propre histoire.

Francesca Piqueras

 

Pieuvres de métal

Ce qui frappe dans l’œuvre de Francesca Piqueras, année après année, c’est sa fidélité au sujet paradoxal : la nature envahie par la main de l’homme, des constructions à l’abandon, la sourde et lente déliquescence d’une ambition industrielle ou politique depuis longtemps caduque. Avec « Fort », Francesca Piqueras poursuit son aventure visuelle dans une veine toute britannique. Après le Bengladesh et la mer du Nord, c’est en effet près de Londres que nous conduisent ces photographies presque fantastiques. Dans une couleur toujours tissée de ciels et d’ocre, qui rappelle les navires en déconstruction et les plateformes mortifères de ses précédentes expositions, Francesca Piqueras capte les insolites forts Maunsell (du nom de leur architecte), qui surgissent dans l’estuaire de la Tamise. Victor Hugo aurait été conquis : on dirait le décor d’un chapitre de L’Homme qui rit. Construites par la Royal Navy pendant la Seconde Guerre Mondiale pour combattre une invasion allemande, à l’abandon depuis la fin des années cinquante, ces tours se dressent telles de véritables pieuvres de métal. La photo de Francesca Piqueras a su saisir le paradoxe de leur vocation et du calme de la mer. L’inquiétante alchimie de l’eau, du fer et de l’air, et jusqu’au béton de ce totem, sorte de temple japonais à demi englouti comme une Atlantide – cette alchimie fonctionne à merveille dans le cadre retenu par la photographe. Toujours attentive à l’esthétique érectile de ses sujets, Francesca Piqueras nous émeut, une fois de plus, en superposant une œuvre involontaire de plasticien, de sculpteur, à l’outil d’une tactique politique et guerrière.

De l’aube au crépuscule, la lumière entraîne cette ville morte éparpillée dans une légende mi-aquatique mi-onirique, une lumière qui n’appartient qu’au talent de Francesca Piqueras, et qui ne vit que grâce à ses choix toujours visionnaires. Célébrant la victoire de la nature sur l’arrogance et la peur des hommes, cette nouvelle exposition nous invite à suivre le fil ocre que tisse son séduisant auteur depuis des années, magnifique frontière entre notre monde fragile et la beauté des songes debout.

Stéphane Héaume/Art Limited

 

 

Metal Octopuses

What strikes one in Francesca Piqueras’ work, year after year, is her unwavering focus on a paradoxical subject: nature encroached upon by human hands, abandoned constructions, and the slow, muffled decay of once-grand industrial or political ambitions, long since obsolete.

With Fort, Francesca Piqueras continues her visual exploration in a distinctly British vein. After Bangladesh and the North Sea, her latest photographs take us near London, into a world that feels almost fantastical.

Rendered in hues woven from skies and ochres reminiscent of the deconstructed ships and grim platforms of her earlier exhibitions, Piqueras captures the haunting Maunsell Forts, named after their architect. These structures rise from the Thames Estuary like true metal octopuses.

Victor Hugo would have been enthralled: they seem plucked from the pages of a chapter in The Man Who Laughs. Built by the Royal Navy during World War II to fend off a German invasion, abandoned since the late 1950s, these towers stand as eerie relics of history.

Francesca Piqueras’ photography masterfully conveys the paradox of their wartime purpose juxtaposed against the stillness of the sea. The unsettling alchemy of water, iron, air, and even the concrete of these totems—partially submerged like a Japanese temple or a fragment of Atlantis—resonates powerfully within the frame she has chosen.

Always attuned to the striking verticality of her subjects, Francesca Piqueras once again moves us by layering the unintentional artistry of a sculptor or plastician onto the tactical tools of war and politics.

From dawn to dusk, the light transforms this scattered dead city into a semi-aquatic, semi-dreamlike legend—a light belonging solely to Francesca Piqueras’ talent, brought to life by her consistently visionary choices.

Celebrating the triumph of nature over human arrogance and fear, this new exhibition invites us to follow the ochre thread her compelling work has been weaving for years—a magnificent boundary between our fragile world and the beauty of standing dreams.

Stéphane Héaume / Art Limited

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