in fine

Il peut arriver qu’à un certain moment l’histoire s’arrête. L’homme disparaît, la ville disparaît.
Il reste les ruines, pour nous raconter les vies de ceux qui ne sont plus. Il reste des épaves hermétiques, car elles se limitent à nous montrer leurs décombres. Mais si nous savons les écouter, sans nous arrêter à ce qu’elle semble paraitre, elles deviennent magnifiquement impudiques.
Nous appelons ruines ce qui reste de quelque chose qui fut et qui n’est plus, plus du tout. Nous appelons ruines ce qui survit d’une façon différente, sans avoir de fonction, mais bouillonne d’une vie cachée. Ce sont les choses du passé, dissimulées par des cohortes d’algues, de mousses et par la rouille.
Les photographies de Francesca Piqueras sont les plus parfaites qu’il m’a été donné de voir sur l’abandon. Elles dispensent un jeu d’ombres et de lumières d’une grande prodigalité et remettent dangereusement en cause l’évidence. Les épaves que ces images saisissent poursuivent sous nos
yeux leur décomposition et ce n’est pas l’effet d’un trouble de la vue. Elles continuent à se heurter, exactement comme nous, vulnérables à chaque instant qui passe.
Admettons-le : explorer les épaves, c’est un peu s’explorer soi-même, elles sont moi, elles sont toi.
Le vent souffle entre ces photos. Le sable se répand en silence. L'eau monte et descend. Francesca Piqueras pose son regard sur ces choses abandonnées à leur perte et nous rend la solitude familière. Ces épaves frémissent de longs hivers et attendent, vivantes comme elles sont, d’exulter soudain de toute leur fragilité en regardant leur reflet dans l'eau. Elles se voient à l'envers, brisées, contractées, peu importe : elles peuvent rester comme ça. Et d’ailleurs, posées là, hors du temps, qu’aurions-nous à craindre de l'avenir ?
Carmen Pellegrino, écrivain Février 2018
In Fine
Sometimes, history halts. People and cities vanish. What remains are the relics, telling the stories of lives that are no longer there. What remains are the wrecks—those improbable remnants that, to some, are nothing more than scrap metal. Yet if we pause and listen, they reveal themselves in their marvelous candor.
We call a “relic” the memory of something that was and is no longer. We call a “wreck” something that survives in another way, beyond its original purpose, thriving in a secret life of rust, algae, and moss.
Francesca Piqueras’ photographs are among the most striking I have ever seen on the theme of abandonment. They unleash a wealth of light and shadow, unsettling what we take for granted.
The objects she captures seem to unravel before our eyes, and this is no illusion. Like us, they are vulnerable to the passage of time.
Let’s admit it: to explore these wrecks is to explore ourselves. They are me; I am you.
Blown by gusts of wind, the sand scatters silently. Waves and foam—Francesca Piqueras casts her gaze upon abandonment and tames solitude. Her wrecks stretch out from the long slumber of winter, alive, trembling with their own reflections.
Overturned, shattered, diminished—it doesn’t matter. The wrecks remain, here, in this “timeless” realm. With such an existence outside time, what do we have to fear from the future?
Text by Carmen Pellegrino, Italian writer
Translated from Italian by Shmuel T. Meyer—writer, poet, and photographer
In fine
Mon travail est sans aucun doute le miroir, le témoin, d’une société en transformation, qui oublie parfois de prendre en compte ses erreurs et les répète inlassablement.
Il suggère le drame d’une nature qui ne pourra pas éternellement réinvestir et digérer ces totems contaminés, c’est pourquoi il ne faut pas le voir uniquement sous le prisme d’un esthétisme formel et silencieux.
Ces épaves, ces structures témoignant par leur abandon en mer de l’activité humaine en déclin, se désintègrent, se métamorphosent, se transforment peu à peu en sculptures. Je les vois comme telles, des sculptures créées par l’existence commune de deux protagonistes - l’humain et la nature - qui évoluent entre ce qui fut et ce qui ne sera plus.
Ils se confrontent, s’opposent.
Résistance de l’un, battements incessants des vagues de l’autre. Ils luttent et se déchirent, arrivent à des postures et des spasmes qui évoluent très lentement, pour arriver au plus vite à la fin.
J’attends la lumière, qui transforme la structure, la dramatise, la violente ou l’ efface.
Je me me projette à l’intérieur de l’image, physiquement et mentalement.
C’est une image vivante, à la fois mise en scène d’un paysage de l’humanité et à la fois à d’une histoire individuelle, la réalité objective fait écho à la réalité subjective.
C’est dans cet espace-temps, qui commence dès l’abandon de ces structures jusqu’à leur décomposition complète, que je situe mon travail.
C’est une esthétique de l’abandon.
Dans ce nouveau travail, « In fine » il y un nouveau protagoniste, la ville.
Une ville figée, en apparence déserte et silencieuse, aux formes cubistes et colorées, la solitude s’étoffe, s’épaissit, d’autant plus que l’homme est derrière, caché.
A ses pieds une mer de glace mouvante et inquiétante pourrait engloutir le cimetière de bateaux, mais elle n’en fait rien. Il me semble percevoir un dialogue entre la ville et les épaves collées les unes aux autres, il n’y a aucune fatalité, ni vainqueur ni vaincu, pas encore. La brume épaisse, les rafales de vent, de neige, de glace et les chiens hurlants, mettent tout le monde d’accord.
Dans ce paysage chaque individu ne pourra que prendre conscience de sa propre existence solitaire. L’interdit est là, interdit d’avancer, interdit presque de respirer... Le passé et le présent se confrontent, mais le temps n’avance pas, tout est suspendu, la ville retient la fin, la glace la fige.
Francesca Piqueras
In fine
My work is doubtless a mirror, the witness of a society in continuous transformation which forgets to take into account its mistakes and repeats them ceaselessly.
It suggests the drama of a nature which will not be able to eternally reinvest and digest those contaminated totems, this is the reason it should not be seen only under the prism of a formal and silent aesthetism.
Those wrecks, those structures witnessing through their abandonment at sea a declining human activity desintegrate, metamorphose slowly into sculptures.
This is how I see them, sculptures created by the common existence of two protagonists – human and nature – who evolve between what was and what will never be.
They confront each other, they oppose each other. Resistance for one, ceaseless beating of the waves for the other.
They fight and tear at each other, come to postures and spasms evolving very slowly, to get to an end as quickly as possible.
I am waiting for the light, which transforms the structure, dramatizes it, assaults it or erases it.
I project myself inside the image, physically and mentally. It is a living image, at the same time staging of a landscape of humanity and of an individual history, objective reality as an echo of subjective reality.
It is within this space-time, which begins as soon as these structures are abandoned until their complete decomposition, that I place my work.
An aesthetism of abandonment.
n this new work, « In fine », there is a new protagonist, the city.
IA frozen city, in appearance deserted and silent, with cubist and colored shapes, loneliness broadens itself, becomes thicker, even more so because man is behind it, hidden.
At his feet, a sea of moving and threatening ice could swallow the ships' graveyard, but it does not. I seem to perceive a dialogue between the city and the huddled shipwrecks, there is no fate, neither winner nor loser, not yet. The thick fog, the wind, the snow, the ice gusts and the screaming dogs get everyone to agree.
In this landscape, each individual will but take conscience of his or her own solitary existence. A ban is here, forbidding to move, almost forbidding to breathe... Past and present confront each other, but time does not move, everything is hanging, the city withholds the end, ice freezes it.
Francesca Piqueras